L’organisation du travail dans ce RTP ne doit pas se faire par discipline ou aire culturelle, mais autour de certains axes transdisciplinaires et qui transcendent les frontières imposées par les « aires culturelles ». Aucun axe « monde musulman » n’est donc envisagé comme tel. Trois axes majeurs sont proposés, l’un portant sur le rapport entre les débats publics et scientifiques sur le sécularisme, et l’autre sur les questions juridiques et déontologiques liées à la pratique actuelle de la recherche sur l’islam et enfin l’axe Arts et islams.
Penser le sécularisme en sciences sociales et dans le débat public
La dissonance est frappante entre la façon dont on utilise les idées de sécularisme et de laïcité dans les débats publics, et la conceptualisation du sécularisme dans le champ universitaire. Alors que les controverses et l’action publiques reposent largement sur le présupposé selon lequel il y a quelque chose de problématique et antimoderne dans le religieux, les débats de sciences sociales de l’islam aujourd’hui sont quant à eux influencés par les analyses très riches du sécularisme élaborées par des auteurs tels que Talal Asad, Charles Taylor, Etienne Balibar, Olivier Roy, Saba Mahmood etc. De l’idée de « secular criticism » qu’Edward Saïd définissait comme la base de l’anti-dogmatisme au projet de généalogie du sécularisme proposé par Talal Asad, les travaux universitaires sur ce concept ne cessent d’offrir des analyses toujours plus en décalage avec la conception réductrice de la laïcité identitaire promue par les partis populistes européens. En s’appuyant sur ces travaux, on pourra réfléchir aux façons dont s’est produit le lien entre islam, terreur, race et culture dans les sociétés contemporaines dans l’espace public et politique. On s’interrogera ce faisant sur les façons possibles de contribuer à complexifier et pacifier les débats actuels sur le rapport entre islam, politique et société.
Se pose aussi la question de savoir s’il est pertinent de déconstruire le sécularisme comme l’expression univoque d’un projet impérial libéral –comme le font les adeptes d’une approche décoloniale-, lorsque de nombreux intellectuels situés dans les sociétés musulmanes restent attachés au potentiel émancipateur du sécularisme ? A cet égard, le nouveau sécularisme auto-critique que tente de définir Etienne Balibar dans Saeculum peut présenter une piste fructueuse de recherche pour rompre avec la célébration par certains médias de la laïcité autoritaire en Turquie ou en Tunisie. Enfin, comment comprendre l’invocation du principe de réciprocité dans les controverses publiques occidentales sur la liberté religieuse ? (« ‘vous’ pourrez construire une mosquée à New York quand ‘nous’ pourrons construire une église à Djedda). Cette invocation exprime à la fois la conscience d’une mondialisation et d’une standardisation des débats et des normes internationales de protection de la liberté religieuse, et la croyance en un monde plat, apolitique et anhistorique qui autorise ce type d’injonctions. Comment prendre au sérieux la revendication légitime de droits qui s’exprime dans ce type d’interpellation, tout en remettant en question la perspective apolitique et belliqueuse par laquelle elle s’exprime ?